Le Détective Public...

La Rencontre

En marchant, sous ce doux soleil matinal, dos à la station d'essence, j'essayais de mettre de l'ordre dans mes idées tandis que mes vêtements humides et couverts de boue, séchaient en raidissant. "Toute enquête qui se respecte comporte toujours au moins un truand, et je lui avais réglé son cas. Dans toute bonne aventure, on finit par rencontrer un ami sur qui l'on pourra compter toute sa vie et je suis sûr que mon ami chauffeur de taxi arrivera aussitôt que j'aurai besoin de lui."

J'arrivai à la vielle maison entourée de rosiers, à ma droite sur la colline, car j'avais tourné le dos à la station d'essence du mauvais sens. Je repris la route mais cette fois-ci, vers mon hôtel. Il me manquait toujours un lien entre tous les événements de ces derniers jours; un truand pas très coopératif, une randonnée en taxi avec un ami, une sombre demeure pas complètement abandonnée et un coup de matraque qui me faisait encore mal. Mes vêtements et mes chaussures commençaient vraiment à être croûtés et inconfortables.

Dans toutes les aventures que j'avais eues, à un tournant d'une sombre ruelle éclairée diffusément par la lune pâle et froide, sous les ombres dramatiques laissées par le fer forgé des escaliers; le tournant de l'enquête. La clé de l'énigme, le lien manquant se présentait toujours à moi sous la forme d'une...

Je fus interrompu dans le cours de mes pensées, processus complexe de déduction, quand crissa en stopant dans la terre de la petite route, une grande Bentley Roadmaster marine et grise à flancs blancs maculés de boue. Quand mes yeux irrités par la poussière furent capables de revoir, il virent enfin ce qui manquait a mon aventure et que pertinemment je n'arrivais pas à mettre de doigt dessus; une femme.

La vitre se baissa et quand le nuage de fumée laissé par un Havane se dissipa, mes yeux rougis par les particules poussiéreuses du chemin et la boucane sortant de la voiture, rencontrèrent, de grands yeux abondamment ciliés, couleur de l'océan un jour de pluie et perçant et beau comme une drill Makita. Elle avait une jolie bouche cardiaque (en coeur) aux lèvres pulpeuses siliconées et glacées comme du jello aux framboises. Cette douce vision était encadré par une ondulante et flamboyante chevelure aux couleurs de l'automne laurentien. Et il y avait tout ce qu'il faut évidement ailleurs pour faire d'elle une Vénus avec des bras.

Se penchant par dessus la portière, le décolleté vertigineux de sa robe de soirée, même le matin, en crêpe de Chine émeraude comme ses souliers et sa sacoche, me donna le vertige. Probablement parce que je n'avais rien avalé depuis le premier épisode et que j'aurais bien aussi mangé une crêpe de Chine aux melons. Son chauffeur, chinois aussi, tout de noir et bien casquetté semblait fort sympathique mais regardait sans cesse sa montre d'un air perplexe. De sa belle voix suave de fumeuse de cigare, elle me dit avant de s'étouffer; "salut beau gosse"!

En vérifiant ma braguette, et en reprenant aussi vite que d'habitude mon calme et mon sang froid, je lui dis mon nom, mon âge, mon adresse, le nom de mon chat, son âge, son adresse, mon numéro de carte de membre des Zouaves, ma combine de cadenas, ma pointure de soulier, mon numéro infaillible de 6/49, l'adresse de mon truand, de la maison abandonnée et tous les autres détails de la présente enquête.

En repartant, et en recrissant du pneu, un caillou décolla accidentellement du chemin et me cassa une dent. C'était une vieille dent qui ne me servait pas souvent et que je ne tenais pas mordicus à garder.

En me couchant, très tard ce soir-là, fier, satisfait et heureux d'une journée si bien remplie, je me dis: "Évariste, quelle chance tu as! Quel beau métier que celui qui permet de rencontrer des gens, de voir du pays, de se faire des amis fidèles, et même parfois, de rencontrer l'amour".

Jean-Marc


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