Le Détective Public...

L'Éviction

Je fus subitement éveillé par des coups sourds à ma porte. Le gérant de l'hôtel, aussi sourd que ses coups, m'expliqua poliment avec de multiples injures et de nombreuses menaces qu'il me mettait à la porte parce que je n'avais pas payé ma chambre depuis au moins trois épisodes. Je me résolu à être digne et ferme avec lui mais il resta sourd, comme il se doit, à mes supplications même lorsque j'embrassai plusieurs fois ses vieilles pantoufles sales. Je n'eu que le temps de rassembler quelques affaires et je me retrouvai dans la rue.

A regret, je laissai mon canari avec sa cage à un prêteur sur gages, ce qui me donna juste assez d'argent pour défrayer le coup d'un casier à la gare où je plaçai le reste de mes affaires. Je ne pouvais tout de même pas traîner tout ça avec moi dans les prochains épisodes! Au moins je n'avais pas tout perdu, il me restait le souvenir de ma Vénus à bras avec son décolleté vertigineux.

Sans le sou, l'esprit vide, l'âme en peine, le coeur meurtri, une dent en moins et l'estomac toujours vide, j'errai sans but durant plusieurs jours. Je finis par m'arrêter dans un petit parc et m'allongeai sur un banc afin de prendre un peu de sommeil pour reposer mon corps et mon esprit fatigués.

Je m'abriai alors d'un journal dont la page couverture s'ornait d'une photo d'un désert où, semblait-il, des arbres commençaient à pousser. Ha! ces journaux à sensations, toujours à parler de phénomènes bizarres et de soucoupes volantes. Je ne parvenais pourtant pas à dormir et ouvrant les yeux, je sursautai au moment où, collée contre mon nez, une photo attira brusquement mon attention.

La photo montrait une petite colline en haut de laquelle se dressait une vieille maison délabrée qui apparaissait comme collée devant l'immense pleine lune juste derrière. Je fus aussitôt envahi par un immense sentiment de déjà-vu. La photo était accompagnée d'un article qui décrivait les circonstances mystérieuses d'un meurtre ayant eu lieu à cet endroit, peu de temps auparavant. La police était à la recherche d'un mystérieux individu qui avait été vu quittant les lieux en poussant un taxi! Mon ami le chauffeur était dans le pétrin; il fallait absolument que je le retrouve.

Je me souvenais que l'affiche sur le toit de la voiture indiquait qu'il travaillait pour "Les Taxis Dentés" mais je ne trouvai rien dans l'annuaire que je consultai. Je me résolus donc à retourner à la vieille maison pour essayer d'y trouver des indices, c'est mon métier après tout.

Comme je n'avais pas d'argent, je fis de l'auto-stop et au bout d'une heure ou deux sous la pluie, le chauffeur d'un camion-citerne me prit en pitié et nous fîmes un bout de chemin ensemble. Malheureusement, il manqua d'essence et je dus le pousser jusqu'à une station service concurrente où je le laissai, malgré ses protestations.

Le soir tombait lorsque j'entrevis avec joie les silhouettes squelettiques d'arbres morts sur les branches desquels étaient précairement juchés de nombreux corbeaux et plusieurs hiboux et, en haut de la petite colline à ma droite, la vieille maison délabrée qui apparaissait comme collée devant l'immense pleine lune juste derrière.

Décidément, la pleine lune durait longtemps ce mois-ci! Oh joie! juste devant la vieille bicoque, la voiture de mon ami le chauffeur de taxi était stationnée. De plus, une grande Bentley Roadmaster marine et grise à flancs blancs maculés de boue s'y trouvait aussi et aucune des deux voitures ne semblait occupée. J'allais revoir ma Vénus à bras et son sympathique chauffeur chinois obsédé par sa montre!

En m'approchant précautionneusement de la porte d'entrée, je remarquai que les rosiers sauvages conservaient encore des traces de mes divers passages. Arrivé devant la porte, je cherchai la clé cachée sous le paillasson troué mais elle ne s'y trouvait plus. Je fouillai aux alentours pendant près d'une heure sans plus de succès. Épuisé, je m'adossai à la porte qui céda sous mon poids et s'ouvrit en grinçant.

Heureusement, le bruit du grincement fut caché par celui de ma chute alors que je m'affalai de tout mon long en m'assommant au passage sur le cadre de la porte. Quand les trois Vénus devant moi eurent fini de tourner, je me rendis compte que j'étais seul.

Seul et ligoté.

Seul, ligoté et bâillonné.

Seul, ligoté, bâillonné et muni d'une magnifique bosse d'une fort jolie couleur mauve accompagnée de son fidèle mal de crâne.

Je cherchai du regard les alentours dans l'espoir d'apercevoir mon ami le chauffeur qui aurait du logiquement se trouver ligoté dans la pièce avec moi mais, curieusement, je ne l'apercevais nulle part. Ma Vénus aussi brillait par son absence. J'avais pourtant bien vu les deux voitures à l'extérieur!

Et pourquoi étais-je ligoté? Pourquoi étais-je bâillonné? Que devenait mon canari?

Je savais pourtant que dans cette maison se trouvait la clé de mon enquête (et celle de la porte d'entrée) et que tôt ou tard, je finirai bien par connaître le fin mot de cette histoire.

Guy


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